La sardine à l'honneur dans Libération du 17 janvier 2019

Tu mitonnes

Et vogue la sardine à l'huile

Par Jacky Durand

Chaque semaine, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, ode à la conserve du petit poisson bleu bon à manger et bon à penser, comme aurait pu dire Claude Lévi-Strauss.


Dieu a inventé les sardines à l’huile pour tous les jours et tous les continents du monde. On ne se contente pas de manger le petit poisson bleu. On embarque dans sa boîte pour un voyage au long cours ou un bref canotage. Car ce frêle esquif de métal blanc et son contenu autorisent tous les songes, toutes les fugues.

Le soleil d’Afrique

On est un soir de pavés mouillés au sortir du métro. Humeur de janvier et faim indécise. Amar l’épicier insomniaque baille d’ennui dans sa cambuse qui embaume la soupe de légumes secs au cumin. La nuit sera longue au pays des crapauds venus acheter une canette au compte-gouttes et une cigarette à l’unité. On lui soutire des sardines à la harissa du phare du Cap Bon. Rien que la boîte est déjà un mirage d’hiver. Il y a le jaune du soleil d’Afrique, la mer bleue comme sous les tropiques et le rouge des piments qui encadrent le phare en médaillon. Ce n’est pas un contenant, c’est un continent où l’on imagine des peuplades captivantes. Lévi-Strauss, sors de cette boîte, toi qui disais «Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu’il soit bon à penser.»

Le port d’Alger

Avec la sardine à l’huile, on est servi. Flairer la boîte, c’est déjà un conte. Une histoire de sardines grillées avec du piment, une fin de nuit dans le port d’Alger. Parfums outranciers de mazout brûlé, de marée fatiguée et de tabac chaud. Une autre fois, c’est un soir frisquet dans le vieux port de Marseille. Bistrot clairsemé et terrasse déserte. On commande une assiette de sardines sans trop y croire. Elles débarquent comme une pluie d’étoiles au mois d’août. Parsemées de gros sel qui est le condiment de la faim. Rien à saucer. Mais tout à bouffer : la tête, les tripes, la queue et même les arêtes. Jusqu’à la dernière miette jusqu’à l’ultime baiser déposé par le sel sur les lèvres. Une autre fable qui surgit comme un poisson volant : il y a longtemps, longtemps, des sardines achetées au bord du Rhin. L’exotisme au pays du rollmops. Et une lubie de recette arrachée dans un vieux magazine débusqué dans la salle d’attente d’un médecin. Videz les sardines, les farcir d’un hachis d’herbes (menthe, persil, thym…), les rouler dans la farine puis l’œuf battu avec une pointe de sel et de poivre. Les faire chanter dans la poêle jusqu’à ce qu’elles soient dorées comme une naïade levantine. A déguster avec les doigts, du gros pain et un blanc un peu frais et pas prétentieux.

Une pièce de théâtre

Ouvrir une boîte de sardines, c’est comme attendre les trois coups avant le début d’une pièce de théâtre. On brûle de savoir ce qu’il y aura derrière (la suite)

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