Y en n'a qu'une !

Elle s’est fait sa place parmi les marins pêcheurs. Pourtant, elle vient d’Auvergne. Pourtant, ce n’est qu’à 40 ans qu’elle a embarqué à bord des chalutiers. Pourtant, elle est mère de quatre enfants. Mais Marie aime réellement la mer et son métier. « Elle en veut ». Alors, au Guilvinec, on la respecte.

La nuit est noire. Seules quelques lumières scintillent au loin. Le visage crispé, Marie Rouffet, 46 ans, l’une des rares femmes marins pêcheurs, tire de toutes ses forces sur le filet rempli de sardines du Spered Breizh, un bolincheur du Guilvinec (29).
Malgré l’effort, elle rayonne sous son ciré jaune, sa longue natte brune s’échappant de sa capuche. Une fois le poisson vidé dans le ventre du navire, elle ferme les yeux et inspire une grande bouffée d’air iodé : « Je suis une femme comblée, heureuse ! Quand t’es seule au milieu de la nuit, en pleine mer, avec tes collègues et ton poisson, c’est énorme. Je peux pas le raconter, c’est un truc de ouf ».
Quinze jours « pour voir » 
Pourtant, c’est bien loin de l’océan, à Chamalières, près de Clermont-Ferrand, en Auvergne, qu’elle a vu le jour un 15 octobre 1969. « J’ai toujours été passionnée par la mer, depuis toute petite », confie-t-elle.
C’est son grand-père maternel qui transmet à sa fille, puis à sa petite-fille l’amour de la mer et de la pêche. « Il avait une grosse situation chez Michelin et venait souvent pêcher ici », raconte cette femme divorcée, mère de trois filles de 26, 12 et 7 ans et d’un garçon de 23 ans.
Pourtant, jusqu’à ses 39 ans, Marie vivait en Auvergne où elle travaillait comme aide-soignante à domicile, après un bac L et deux années de droit. « Mais j’étais tout le temps triste », se souvient-elle. En 2008, elle part donc 15 jours au Guilvinec, « pour voir ». Elle réussit à embarquer comme passagère pour une campagne de pêche de plusieurs jours. « Là, je me suis dit que je voulais faire ça ».
« Ils s’y sont faits » 
« Il y a assez peu de femmes marins pêcheurs, c’est quand même un métier exigeant », constate Philippe Bothorel, directeur du lycée maritime du Guilvinec qui forme, chaque année, quelque 180 futurs matelots.
« Quand on a une fille par an chez nous, c’est exceptionnel », indique le chef d’établissement. La France comptait, en 2015, environ 40.300 marins dont 44 % à la pêche, soit 17.700 personnes, dont 1,5 % sont des femmes, selon le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer.
« Il y a eu des moments de doute parce que la pêche c’est pas forcément facile, reconnaît Marie. Les gens ne se rendent pas compte quand ils achètent leur petite boîte de sardines : mais parfois il pleut, on a froid, on a la peau des mains qui tombe, on a des bleus, on a le mal de mer… ».
Sans compter que l’arrivée d’une femme sur un bateau de pêche n’est pas forcément bien vue par tous : « Les Bigoudènes ne vont pas sur les bateaux, c’est juste impossible. Ce sont les maris qui vont en mer. Je passais pour une folle au début et puis ils s’y sont faits ».
« Une petite différence… » 
Au lycée maritime du Guilvinec, elle obtient son diplôme de matelot, puis son brevet de capitaine 200. Elle enchaîne ensuite les embarquements : petite pêche, pêche côtière, pêche au large… En ce début octobre, elle retourne sur les bancs de l’école pour obtenir un brevet de mécanicien.
« Il y a quand même une petite différence avec un homme mais Marie en veut et c’est déjà énorme, déclare le patron du Spered Breizh, Arnold Burel, qui vient de l’embaucher pour un remplacement de trois semaines.
« Il n’y a pas beaucoup de bateaux qui vont prendre une femme. Tu peux avoir des histoires que tu n’aurais pas si tu n’as que des hommes à bord ».
« C’est la première fois que je travaille avec une femme en 37 ans de métier », reconnaît Éric Rioual, l’un des six autres marins pêcheurs à bord du sardinier de 17 mètres. « C’est particulier, c’est un milieu d’hommes… », dit-il, en sortant au petit matin du poste équipage peuplé de posters filles nues aux postures lascives.

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