La blonde déconfinée et les sardines portugaises

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A ce propos : connaissez-vous l’histoire des sardines émancipées qui voulaient apparaître aussi belles que des livres ?
La sardine est un produit national portugais.
Longtemps désignée comme produit emblématique du pays (honneur qu’elle partage avec l’azulejo et le fado), la sardine s’installa comme l’image réduite et codée du Portugal. Chacun sait que les raccourcis ont la vie dure et nos sociétés empressées portent loin et longtemps ces clichés. La baguette et le béret, c’est notre fardeau à nous.
Par nature petite et ordinaire, la sardine se transforma, avec le temps, en produit d’exception. Et, il y a longtemps maintenant, des quantités astronomiques de boîtes de conserve sortaient chaque jour des conserveries des côtes portugaises. Aujourd’hui, la sardine a fui ces côtes et sa rareté a entraîné la hausse inévitable de sa valeur.
Traditionnellement, la sardine était associée aux classes les plus modestes qui la frottaient sur le pain « pour en augmenter la saveur ». Il s’agissait pour les plus pauvres de « faire durer le poisson plus longtemps » (« Fazer o peixe render »).
En attendant le trolleybus qui devait me ramener dans le quartier de l’Alfama, je fus intriguée par l’affiche placée juste à l’entrée de l’étonnante conserverie située de l’autre côté de la rue. Elle disait précisément ceci : « A mulher e a sardinha querem-se pequenina ». En français : « Une femme et une sardine sont censées être petites ».
Je me suis interrogée, tenace, sur l’origine de ce rapprochement pour le moins insolite.
L’expression n’est autre qu’un idiome traditionnel faisant allusion au fait qu’historiquement les femmes portugaises étaient connues pour être assez petites et les sardines plus savoureuses quand elles l’étaient elles aussi. Je m’étonnai de cette locution, d’autant plus qu’étant une assez grande personne (et blonde de surcroît) je me demandai aussitôt si, affublée d’une telle taille, je pouvais encore longtemps prétendre à être savoureuse.
Affolée, je me mis à chercher tout ce qui, à l’inverse, et habituellement autour de moi, pouvait être suffisamment long et savoureux pour justifier ou valoriser une taille comme la mienne et échapper ainsi à la malédiction de la sardine trapue.
La boutique, spacieuse et colorée, affichait une allure de bibliothèque ancienne réservée aux livres rares. Les étagères, sur lesquelles on s’attendait à trouver des livres, avaient toutes été travaillées à partir d’un bois brun et leurs pièces en fer forgé peintes dans un vert qui rappelait celui de l’art nouveau.
Les boîtes de conserve, contenant toutes des sardines soigneusement étêtées et équeutées, avaient pris, sur les rayons les plus accessibles par l’acheteur, la place des ouvrages récemment dégagés. La sardine, de chair et d’huile, venait de chasser le livre et ses chapitres, au nom de la culture d’un ordinaire restauré, suffisamment bien emballé pour que l’illusion, ou la farce, soit totale.
Prata do mar et Tricana avaient exfiltré, sans coup férir, Pessoa et Coelho. Ce qui était bluffant était de découvrir le packaging et l’installation des boîtes de sardines, sur les étals. L’espace affichait, à l’évidence, une hybridation d’un nouveau genre. L’illusion était parfaite.

Anne Démians
in : https://chroniques-architecture.com/le-monde-litteraire-de-la-sardine-et-la-blonde-deconfinee/

Remarque
L'architecte déconfinée n'a pas poussé l'expérience jusqu'à tenter de lire ces boîtes de sardines pour en comprendre le sens ou même cherché à s'interroger sur le pourquoi des sardines dans ce rôle messianique qu'elle soupçonne…

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