De l'éloquence des sardines : Leçon 2 : La vue

Bill François dans L'éloquence de la sardine nous révèle ce que ses recherches de physicien passionné d'hydrodynamique nous apprennent de l'univers dans lequel évoluent les poissons.
Leçon 2 : la perception des couleurs
"L'eau fait disparaître les couleurs. La lumière arrive du soleil, et contient toutes les longueurs d'onde des couleurs. Mais plus elle traverse d'eau, plus chacune des molécules d'eau qu'elle rencontre absorbe certaines de ces couleurs. Les molécules d'eau sont gourmandes en couleurs ; elles absorbent en priorité les plus "chaudes", celles qui ont les plus grandes longueurs d'onde : le rouge, l'orange, le jaune… A cinq mètres de profondeur, tout le rouge a disparu : les objets rouges se fondent dans le bleu, on ne discerne plus leur teinte.
©Guillaume Long
 Quand la lumière continue de descendre, elle perd progressivement le jaune, à quinze mètres, puis le vert, vers trente mètres. Bientôt seul le bleu demeure visible. A partir de soixante mètres, la mer est à nos yeux d'un azur monochrome. Puis même le bleu disparaît, c'est l'obscurité des abysses : à quatre cents mètres de profondeur, il n'y a plus aucune lumière en provenance du soleil. Seules les créatures luminescentes éclairent ces obscurités.
 Mais quand le rayon lumineux plonge, il contient d'autres rayonnements invisibles : les ultraviolets, des couleurs "plus bleues que bleu", de très courtes longueurs d'onde, que notre oeil ne peut distinguer, car son cristallin les bloque. Les poissons, eux, sont sensibles à ces couleurs qui illuminent leur monde à des endroits où nous ne verrions que du bleu. Certains paysages et animaux marins nous semblent ternes ; si on les observait à l'aide d'un appareil sensible aux ultraviolets, on serait ébloui par leurs motifs bariolés, leurs taches et leurs rayures innombrables et colorées.
 Le monde sous marin est donc un monde invisiblement coloré ! Mieux, ces couleurs invisibles forment un code que les poissons utilisent pour communiquer !
"Sous les océans, la couleur est un langage. De nombreuses espèces peuvent changer de couleur sur commande, pour se parler, plus efficacement encore que le font les caméléons. En regardant la peau d'un poisson à la loupe, on observe de minuscules points, de teintes variées. Ce sont les chromatophores, des cellules pigmentées que le poisson est capable de dilater ou de recroqueviller à l'envi. En choisissant quelles couleurs de chromatophores il dilate, le poisson est capable de choisir sa couleur, comme s'il sélectionnait ses propres pixels, et il peut même ainsi changer les motifs de sa peau : autant de signaux qu'il utilise pour s'exprimer et dialoguer. C'est une communication si subtile qu'elle demeure en grande partie mystérieuse."
Qui pourrait décrire exactement la couleur d'une sardine tout juste sortie de l'eau ? En quelques minutes son dos passe d'un camaieux fabuleux à une teinte presque uniforme tandis que son ventre n'envoie plus que des reflets d'argent bien moins riches que ce qu'en verrait le plus myope des dauphins.

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