"Avant de voir un banc de sardines sous l'eau, on n'aperçoit d'abord que de furtifs éclats de lumière qui arrachent des rayons éphémères au soleil. Même lorsqu'elles sont nombreuses et toutes proches, les sardines savent se faire invisibles.
Leurs dos sont bleus comme la mer : nul ne peut donc les voir d'au-dessus. Vues d'en-dessous, leur ventre nacré disparaît dans dans la lumière du ciel. Vues de côté, leurs flancs sont réfléchissants comme des miroirs. Dans le bleu de l'eau, ils réfléchissent la couleur environnante, et les sardines ne sont plus qu'un reflet bleu, une image des alentours, qui se fond dans le paysage de la mer.
C'est le "stratum argenteum", une couche de peau située sous les écailles transparentes de nombreux poissons qui leur confère cet aspect argenté. Cette peau brillante est bien plus qu'un simple miroir, elle reflète mieux la lumière que la glace la plus parfaite. Sur les matériaux réfléchissants : métaux, miroirs et autres vitres, la lumière est plus ou moins fortement réfléchie selon son angle d'incidence ; il n'y a pas d'aussi forts reflets dans toutes les directions.
Ceci est dû à une propriété fondamentale et invisible de la lumière : sa polarisation. Le rayon de lumière réfléchi par un matériau est polarisé : son champ électrique vibre dans des directions particulières, liées aux vibrations des électrons des matériaux réfléchissants. Le rayon ne peut alors être réfléchi que s'il arrive sur sa surface, sous certains angles précis. Ainsi, un objet réfléchissant présente des reflets irréguliers qui permettent de le distinguer des alentours : il ne brille qu'à certains endroits. Et ces réflexions, faites de lumière polarisée, disparaissent dans les filtres des lunettes de soleil polarisantes : c'est grâce à ce phénomène que ces lunettes suppriment les reflets.
Mais ce n'est pas le cas des reflets que fait la lumière sur la peau de sardine. Cette dernière est constituée de cristaux de guanine réfléchissants, de deux formes différentes, qui polarisent la lumière selon un angle différent. Quelle que soit la direction de la lumière, cette dernière est alors parfaitement réfléchie par l'un ou l'autre des cristaux du stratum argenteum. La sardine est ainsi un miroir parfait, aux reflets homogènes sous tous les angles. Elle est capable de se fondre complètement dans l'univers qu'elle réfléchit sur sa peau. Nul ne peut distinguer la mer de son reflet sur les sardines."
L'éloquence de la sardine, Bill François, p.44
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