Crise des migrants de Ceuta : la faute aux sardines…


 

Surfant sur la vague des extrêmes, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez parle ouvertement de « manque de respect » à propos de l’arrivée subite des milliers de migrants sur son territoire: « Rappelons-nous que la frontière avec Ceuta n’est pas seulement la frontière entre le Maroc et l’Espagne, mais c’est aussi une frontière européenne et par conséquent le manque de contrôle, dans ce cas, par les autorités marocaines n’est pas seulement un manque de respect envers l’Espagne mais également envers l’Union européenne dans son ensemble ». Même position de la ministre espagnole des Affaires étrangères, dénonçant jeudi 20 mai, une « agression » et un « chantage » de la part du Maroc. “Pas seulement vis à vis de Madrid, mais de toute l’Europe”, lance-t-elle en essayant d’embarquer l’Union Européenne, puissance de 27 pays, qui s’est substituée à elle dans les juteuses négociations pour des accords de Pêche avec le Maroc, la Mauritanie et, entre autres, le Sénégal, qui profitent avant tout à Madrid et, relativement, à Lisbonne.

Jouant sur plusieurs tableaux, Madrid n’entend pas céder mais devrait, et ce n’est pas le plus simple, trouver une explication rationnelle à ce qui s’apparente à une violation de sa propre justice par elle-même. De son côté , Rabat persiste et signe: “la crise durera tant que sa véritable cause ne sera pas résolue », martèle Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères marocain. Qui enfonce le clou: “le Maroc d’aujourd’hui n’est pas le Maroc d’hier”. Une allusion au déséquilibre économique et militaire qui a toujours existé entre les deux rives depuis que la dernière nef musulmane a quitté l’Espagne, à la chute de Cordoue en 1492 ? Au début des années 2000, l’Espagne alors dirigé par le Parti Populaire sous l’atlantiste et va-t-en guerre (allié indefectible de George Bush lors de la deuxième guerre du Golfe, déclenchée en mars 2003) sous José Maria Aznar avait brièvement occupé l’îlot de Persil en juillet 2002 chassant les soldats marocains et contribuant à relancer le sentiment anti-Maure que des années de démocratie n’ont pas encore atteint dans la péninsule ibérique.

Le camouflet de l’ilôt Persil fut retentissant. Depuis, les choses ont changé. A quelques miles de l’île disputée, le Port de Tanger Med a été érigé, surclassant le port d’Algésiras dans le traffic Est-Ouest. Cette rivalité portuaire vient s’ajouter sur les rivalités agricoles, tomates et fraises marocaines concurrençant les espagnoles sur les étals de l’Union Européenne. Depuis quelques jours, sur un coup de baguette magique, des groupes non identifiés font courir la rumeur de produits marocains cancérigènes. Poussée dans ses derniers retranchements par la décision américaine prise dans les dernières semaines de la présidence Trump, d’une reconnaissance pleine et entière de Washington sur la souveraineté marocaine du Sahara (en contrepartie de la mise en place de relations diplomatiques entre le Maroc et Israël), Madrid a finalement clarifié sa position après plusieurs mois d’un flou artistique. “Le conflit doit être réglé dans le cadre de l’ONU, avec un référendum d’autodétermination”. Une belle manière pour l’Espagne post franquiste d’imposer le statu quo qui, finalement, l’arrange en lui permettant de disposer de ses quotas de pêche sur la côte ouest-africaine et, partant, de faire jouer la rivalité fructueuse entre l’Algérie et le Maroc, deux puissances moyennes maghrébines qui se neutralisent depuis cinquante ans et utilisent Madrid comme une plateforme neutre. Pour être consommée en Algérie, la sardine marocaine est d’abord emballée en Espagne avant de redescendre. Un commerce triangulaire juteux assorti de divers accords dans celui portant sur le contrôle des frontières, corde sensible s’il en est au sein d’une Europe où la thématique migratoire fait gagner ou perdre les élections.

Aussi, les 8 000 migrants qui ont débarqué à Ceuta depuis le 17 mai ont provoqué une onde de choc qui va de Madrid à Bruxelles. L’Europe solidaire de l’Espagne menace le Maroc de lui couper son aide financière. Depuis 2007, le royaume a reçu plus 13 milliards d’euros d’aides par différents canaux, rappelle El Païs, un tantinet aligné sur la position de Madrid. Une bouchée de pain pour Bruxelles engagée dans une volonté d’externaliser ses frontières vers des pays comme le Maroc, la Tunisie et la Turquie. Mais aussi vers les pays de l’Afrique subsaharienne où, dans le cadre du dernier accord avec les pays ACP renouvelé pour 20 ans , il a été spécifié que des négociations bilatérales seront conduites avec les pays africains, un à un, pour leur faire signer des accords de réadmission des migrants.

 

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