La sardine de Douarnenez sous l'oeil de l'historien

Ouest-France Jeudi 08 août 2013
Douarnenez (29). L'entreprise Chancerelle sous la loupe de l'historien Le Doaré
L'entreprise penn-sardin fête ses 160 ans d'existence. Le spécialiste du fait maritime Alain Le Doaré se penche sur l'histoire de la plus vieille conserverie familiale du bout du monde.






« Évoquer le cas d'une entreprise qui se soucie de son histoire et de ses racines. » C'est le voeu formulé par Alain Le Doaré depuis quelques semaines qu'il passe au peigne fin les riches heures de la conserverie Wenceslas Chancerelle. Dans la continuité de l'exposition L'art de fixer les saisons, réalisée au Port-musée en 2006, le passionné des conserveries poursuit son travail sur l'industrie sardinière et s'intéresse à l'entreprise W. Chancerelle.

Sauvergarder la mémoire industrielle douarneniste
L'objectif à court terme est de restituer un condensé des 160 dernières années, passées à emboîter le poisson mais aussi à maintenir la conserverie à taille humaine et à Douarnenez. « Il y a un énorme patrimoine matériel et immatériel, analyse le docteur en histoire. Les archives ont été en grande partie conservées, notamment par la famille. Les plus anciennes remontent à 1850. » Il se donne jusqu'à octobre pour étudier les produits, les personnels, les lieux de production. Il espère ainsi recueillir les témoignages et les photographies de personnes liées à l'histoire de la « friture » de Pors-Laouen.
« Personne ne s'est penché, de manière synthétique, sur l'aventure de cette conserverie familiale », se désole le chercheur qui en appelle à la sauvegarde de la mémoire industrielle douarneniste. Parmi les archives qui remontent sept générations de Chancerelle, c'est véritablement l'oeuvre de Robert, fils de Marc, qui suscite l'intérêt de l'historien. « Présent de 1949 à 1987, il a donné sa vie à l'entreprise. Il a sécurisé les approvisionnements, développé des marchés et abordé le virage de la grande distribution, alors que d'autres enseignes ont chuté. »
Un premier constat qu'Alain le Doaré souhaite nourrir d'une dimension humaine globale : « Le patrimoine immatériel est constitué des témoignages de toutes celles qui ont été au service de l'entreprise et qui sont aujourd'hui retraitées. Mais sa mémoire vive, c'est aussi toutes celles qui y travaillent actuellement. »
Une permanence des gestes et de la tradition d'autant plus importante à valoriser, à l'heure où le site historique de production du port du Rosmeur, agrandi en 1986, se prépare au déménagement pour la zone de Lannugat. Sur les 370 salariés actuels, 175 personnes ont été embauchées au XXe siècle, douze dans les années 1970, 66 dans les années 1980, 97 dans les années 1990. « C'est ainsi que le savoir-faire se transmet », résume l'historien.
Pour témoigner ou montrer ses photos d'époque, contacter Alain Le Doaré, à Connétable, 3, rue des Conserveries, 29 177 Douarnenez. Par courriel (alain.le.doare@orange.fr) ou tél. 02 98 92 42 44.

Entreprise
Ouest-France Mercredi 10 avril 2013
À Douarnenez (29), 160 ans de sardines en boîte
La bonne boîte, c'est la sardine à l'ancienne. Produit historique, pas ringard. 95 % des Français en achètent. Vous la sortez du placard, parce qu'elle fait partie de l'avitaillement de toute bonne maison.

Dans la sardine, presque tout est bon. Une fois coupée tête et queue, éviscérée et cuite, bien rangée dans sa boîte, elle confit dans l'huile. Non seulement, elle vous apporte des oméga 3 pas chers, vitamines, oligo-éléments, quelques calories si elle est fraîche, un peu plus si elle a trempé dans l'huile, mais avec son arête dorsale qui se dissout dans la boîte, vous avez du calcium. Magique.
À Douarnenez, ce port du sud du Finistère, on vit de la pêche à la sardine depuis le monde romain et ses cuves à garum (un condiment à base de poissons) qui nourrissaient les légions de l'Empire. Au XVIIe siècle, on la saumurait puis la pressait. Le pesket, le poisson, passait huit mois en tonneau.
Ici, la maison Chancerelle a ses lettres de noblesse dans le métier. Chaque jour, des ouvrières coupent, trient. Sur les 370 salariés, 70 % sont des femmes. Si la fabrication est mécanisée, la préparation à l'ancienne garantit le résultat.
Des obus et de la conserve
Après l'invention de la conserve, Robert Chancerelle, un Nantais, installe sa conserverie en 1853 sur le port de Douarnenez. Fin XIXe, début XXe les sardines font les repas de matelots. Chez les Penn sardin (les têtes de sardines, surnom des Douarnenistes), quand le poisson disparaît de la baie de 1902 à 1909, c'est la disette. La relance vient de la guerre 14-18 : les poilus ont bouffé des obus et de la conserve.
Avant 1900, avec ses 32 conserveries, Douarnenez fournit des sardines dans le monde entier. En 1954, il y avait 180 conserveries en France. Aujourd'hui, il en reste seize.
La sardine nage en banc, entre deux eaux, de l'Écosse à la Norvège, des côtes françaises jusqu'à la Mauritanie, le Sénégal, et le bassin méditerranéen. Dans les années 1950, Robert Chancerelle, le cinquième du nom, qui fonde la marque Connétable, fait des choix : il va chercher le poisson plus loin, pour en avoir toute l'année. Mais reste « intransigeant sur la qualité, investit dans le froid », explique Jean-François Hug, l'actuel PDG de la troisième entreprise française de la conserve de poissons. « Les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour une conserve de qualité. C'est du durable. »
Douarnenez a été capitale mondiale de la sardine. Le paysage a changé, les conserveries ont mis la clé sous la porte. À ce jour, il ne reste que trois usines : Paulet (marque Petit Navire), Cobreco (marque Arok) et Connétable. Mais les Penn sardin restent les champions européens de la conserve de poisson.
Christian GOUEROU

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