Embargo de fait sur les sardines palestiniennes
Pêcheurs de Gaza : " Nous sommes devenus
des mendiants "
Gaza Envoyée spéciale - Le Monde du 9 août 2014
Hosni Hassan ne veut pas perdre une minute. Sur sa modeste
barque, il déploie un large filet à seulement 300 mètres du rivage de
Gaza. " J'arrive à prendre quelques poissons. Mais d'ici quelques
jours, il n'y aura plus rien. " Après un mois de guerre, les pêcheurs
ont exploité au maximum ce court instant de grâce, à l'abri d'un
cessez-le-feu qui a pris fin, ce vendredi matin.
La liberté de pêche est aujourd'hui l'un des enjeux des négociations
du Caire visant à mettre fin au conflit sanglant entre Israël et les
combattants du Hamas.
Le mouvement islamique exige la levée
totale du blocus terrestre et maritime, imposé par Israël depuis
2007.
Sur mer, le blocus se traduit par une limitation des activités de
pêche, fluctuant en fonction des contraintes militaires israéliennes,
entre 5,5 et 11 km. Les bateaux gazaouis qui tentent d'approcher ces
lignes essuient les coups de semonce des patrouilleurs de la marine
israélienne, parfois des tirs directs. Entre avril et mai, les Nations
unies ont observé plus de 60 accrochages sérieux, blessant cinq
pêcheurs.
La pression israélienne exercée sur mer accable une profession
étranglée. L'activité halieutique dans les eaux chaudes de Gaza n'est
considérée comme viable qu'au-delà de 15 kilomètres (8 milles
nautiques). La limitation actuelle des zones de pêche se traduit par
un déficit de prises estimé à près de 1 300 tonnes de poissons par an.
Activité fantôme
Au port, Mifleh Abu Riyala dépose ses modestes cageots de fines
sardines panachées de quelques mulets. Il n'en tirera pas plus de
200 shekels (40 euros), soit à peine 20 shekels de salaire journalier,
une fois réglées les dépenses de carburant. La destruction des
tunnels de contrebande, qui a fait exploser les prix de l'essence et du
gazole dans la bande de Gaza, fin 2013, a sonné comme le coup de
grâce pour cette activité fantôme.
Méditant sur ses cageots de sardines émaciées, il se souvient des
années où il pouvait naviguer au-delà des 8 milles nautiques, pêcher
maquereaux, thons, crevettes et calamars. " Avant le blocus, on nous
appelait les “Saoudiens” parce nous étions les rois de Gaza. Je
pouvais gagner jusqu'à 10 000 shekels par jour ", se souvient
l'artisan de 36 ans, avant de conclure, d'une voix blanche : "
Aujourd'hui, nous sommes devenus des mendiants. "
D'après une
étude de l'ONU, plus de 95 % des pêcheurs dépendent de l'aide
internationale pour survivre au quotidien.
Dans le camp de réfugiés de Chatti, près du port, ils s'entassent dans
des immeubles insalubres et des appartements dénudés, mis à part
quelques tapis et fins matelas posés à même le sol. Pour aider leurs
familles, les enfants vont dans le centre-ville distribuer du thé, en
échange de quelques shekels. " Nous luttons contre la mort tous les
jours ", résume, glacial, Zacharia Bakr, président du syndicat des
pêcheurs de Gaza.
Frappés par le blocus, ils seraient un certain nombre à avoir rejoint
les rangs des factions armées palestiniennes, appliquant à la lettre la
formule en vogue à Gaza : " Du poisson ou du plomb ".
En 2000, la
bande de Gaza comptait plus de 10 000 marins pêcheurs. Ils ne sont
plus actuellement que 3 500.
Malgré l'intensité des bombardements, la guerre a redonné espoir à
la profession.
Le Hamas exige le retour aux limitations maritimes
garanties par les accords d'Oslo en 1993, soit 12 milles nautiques,
près de 22 km. Sur le port, on estime que la fermeté du mouvement
islamiste finira par payer au Caire : " Les pêcheurs se tiennent prêts.
On a ouvert les paris pour savoir qui allait franchir le premier les
12 milles ", plaisante Mifleh Abu Riyala. Mais à Chatti, Zacharia Bakr
se montre pessimiste : " L'atmosphère au Caire n'est pas bonne.
Israël ne compte pas nous accorder notre liberté. "
Hélène Jaffiol
© Le Monde
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