Par le petit bout de la lorgnette.
Et quand on parle du café de Micheline… c'est à Douarnenez, The place to be…
Portrait - Comme des sardines — 31 juillet 2016 à 17:11 (mis à jour à 18:20)
Dans une conserverie bretonne, découverte des contraintes et des plaisirs, des rivalités et de la sororité. Rigolade comprise.
Après deux années de voyage, j’ai fini par poser mon sac, léger comme un compagnon de route insouciant, lourd parfois comme une plaisanterie qui a assez duré, dans une petite maison de pêcheurs pas loin de la mer. A la terrasse du café tenu par Micheline, j’entends parfois parler le breton, je découvre une culture, une identité… Sédentaire, je voyage toujours. Et pour payer le loyer de la maison, le café de chez Micheline, je travaille à l’usine. A l’usine de sardines.
Nous sommes le 20 décembre. Le parking se remplit petit à petit, le jour se lève, les mouettes aussi. Il est 6 heures. Dans l’entrée, ça sent le café machine et le tabac froid. Ça sent le parfum des femmes qui se pressent dans le vestiaire. Ça sent l’excitation des veilles de vacances, la guirlande défraîchie, le vent froid.
Dans une conserverie bretonne, découverte des contraintes et des plaisirs, des rivalités et de la sororité. Rigolade comprise.
Après deux années de voyage, j’ai fini par poser mon sac, léger comme un compagnon de route insouciant, lourd parfois comme une plaisanterie qui a assez duré, dans une petite maison de pêcheurs pas loin de la mer. A la terrasse du café tenu par Micheline, j’entends parfois parler le breton, je découvre une culture, une identité… Sédentaire, je voyage toujours. Et pour payer le loyer de la maison, le café de chez Micheline, je travaille à l’usine. A l’usine de sardines.
Nous sommes le 20 décembre. Le parking se remplit petit à petit, le jour se lève, les mouettes aussi. Il est 6 heures. Dans l’entrée, ça sent le café machine et le tabac froid. Ça sent le parfum des femmes qui se pressent dans le vestiaire. Ça sent l’excitation des veilles de vacances, la guirlande défraîchie, le vent froid.
En dix minutes à peine, les femmes qui sont entrées, grandes, petites, vieilles, jeunes, blondes, brunes, filles, mères, grands-mères, en dix minutes, les voilà toutes identiques. Une grande blouse blanche. Une charlotte sur la tête. Des gants. Un pantalon ciré, blanc. Des bottes en caoutchouc. Elles se ressemblent et se mettent soudain à toutes faire la même chose. Un coup d’œil au miroir du vestiaire. Un coup d’œil à la pendule accrochée au-dessus de la porte.
Toutes en ligne dans le couloir, elles attendent pour pointer. Passer leur carte sous la machine. «Biiiip». Marcher sur le petit tapis roulant qui arrose et brosse les bottes en même temps. «Pscchiiiit». Attendre que celles de l’équipe de nuit quittent le poste pour les remplacer. Vite, le temps d’une bise. Rieuses.
Elles s’installent à une place qui semble leur être attribuée depuis toujours. Une grande table centrale. Deux tapis roulants qui font le tour. Comme à l’aéroport, quand on attend les bagages. Là, les deux tapis roulants ne vont pas dans le même sens. Un pour les sardines, qui va vers la gauche. Un pour les boîtes, qui va vers la droite. Les boîtes arrivent vides de la gauche. Il faut les remplir avec les sardines qui viennent de la droite. Attraper les sardines, les disposer tête-bêche. Quatre, si les filets sont gros. Plus, s’il ne vient que des petites. Laisser les boîtes à moitié pleines poursuivre leur chemin vers la droite, les collègues achèveront de les remplir avec les sardines qui leur passent devant avant nous, qui sommes à leur gauche. Elles poursuivront leur chemin roulant vers un endroit de l’usine où ne semblent opérer que des machines : une qui les remplit d’huile-aromates ou de citron-basilic ou de vin blanc-moutarde ; une qui les ferme ; une qui les entasse dans une lessiveuse, qui les recrache dans un grand conteneur à roulettes.
Je sais où elles vont après. J’ai travaillé aussi dans le bâtiment d’à côté. Il y a moins de femmes et plus de machines. Des machines pour écrire la date de péremption. Une machine pour les assembler trois par trois dans des petits cartons. Pour mettre un code-barres sur ces cartons. Une pour mettre les petits cartons dans des plus gros, eux aussi étiquetés. Bien sûr, il y a avant ça la machine qui plie et colle les cartons. Puis, pour mettre les gros cartons sur des palettes.
Je sais où vont les palettes après. J’ai un copain qui travaille dans l’usine d’à côté. Comme c’est bientôt Noël, il prépare des paniers de commande. Les palettes vont dans un entrepôt où les préparateurs de commandes ouvrent les gros cartons pour prendre les petits paquets de trois et les mettent dans des paniers à côté des caramels au beurre salé et des tartares d’algues, qu’ils envoient ensuite aux quatre coins de France.
Mais ce matin, comme il y a des nouvelles, puisque certaines sont déjà en vacances, c’est un peu chaotique de placer toutes ces ouvrières en blanc. Il y a celles qui ne veulent pas être côte à côte. La gauchère qu’on met au bout du rang pour éviter les coups de coude. Celles qui veulent être face à face pour se raconter leurs histoires. Et quelles histoires !
Là-dedans, dans le bruit assourdissant de la chaîne, on parle de sexe. D’un homme qui mettait des fessées. Des positions acrobatiques dans la voiture. Voilà de quoi rire à gorge déployée sous le regard lointain du contremaître dont le bureau vitré nous surplombe. Il voit tout. Mais il n’entend rien. Alors on parle de lui. Est-ce qu’il s’est inscrit au repas de Noël des salariés, le lendemain ? Il y en a une qui est toute rouge. Tout le monde, sauf lui, sait qu’elle en pince pour ses cheveux poivre et sel. Ça fait rire les vieilles, qui sont bientôt à la retraite, après vingt ans, parfois plus, de bons et loyaux services. Les deux à ma gauche font ça depuis leurs 18 ans. Elles en ont 50 bien sonnés. Elles sont copines et mettent côte à côte les sardines en boîte depuis 1990. Elles ont même des médailles.
Ici, on a des médailles par année d’ancienneté. Ce qui n’est pas juste, c’est que le patron décompte les congés maternité. Mais aujourd’hui, comme c’est bientôt Noël et que l’usine ferme une semaine, le patron offre un pain au chocolat à la pause. Il est sympa, le patron. Ça met tout le monde de bonne humeur, cette pâtisserie imprévue dans l’odeur de poisson qui se mêle à celle du café, du parfum et des cigarettes à la pause.
Dix minutes, la pause. Quand on reprend nos places, celle qui aime le contremaître, et les histoires de fesses, se met à chanter. «Tous les matins, il achetait son p’tit pain au chocolat, zaï zaï zaï…» Toutes les filles de la chaîne reprennent en chœur. On chante mal, mais peu importe, on ne s’entend pas. Et c’est parti pour Joe Dassin, Cabrel, Goldman et les autres.
Je n’écoute plus. Je me concentre parce que voilà deux fois que ma voisine de droite me houspille. T’avais pas vu que ça, c’est du maquereau, pas de la sardine ? Faut trier ! Je me concentre donc. Il ne faut fixer qu’un tapis à la fois, sinon on a le vertige. Il faut mettre les filets tête-bêche. Différencier la tête de la queue. Différencier la sardine du maquereau. Je me perds dans mes pensées. Soudain, un air connu me fait lever la tête. Elles chantent la Marseillaise.
Nina Chastel Dessin Isabelle Souchon
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