Tu mitonnes
Et vogue la sardine à l'huile
Chaque
semaine, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, ode à
la conserve du petit poisson bleu bon à manger et bon à penser, comme
aurait pu dire Claude Lévi-Strauss.
Dieu a inventé les sardines à l’huile pour tous les jours et tous les
continents du monde. On ne se contente pas de manger le petit poisson
bleu. On embarque dans sa boîte pour un voyage au long cours ou un bref
canotage. Car ce frêle esquif de métal blanc et son contenu autorisent
tous les songes, toutes les fugues.
Le soleil d’Afrique
On est un soir de pavés mouillés au sortir du métro. Humeur de
janvier et faim indécise. Amar l’épicier insomniaque baille d’ennui dans
sa cambuse qui embaume la soupe de légumes secs au cumin. La nuit sera
longue au pays des crapauds venus acheter une canette au compte-gouttes
et une cigarette à l’unité. On lui soutire des sardines à la harissa du
phare du Cap Bon. Rien que la boîte est déjà un mirage d’hiver. Il y a
le jaune du soleil d’Afrique, la mer bleue comme sous les tropiques et
le rouge des piments qui encadrent le phare en médaillon. Ce n’est pas
un contenant, c’est un continent où l’on imagine des peuplades
captivantes. Lévi-Strauss, sors de cette boîte, toi qui disais
«Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu’il soit bon à penser.»
Le port d’Alger
Avec la sardine à l’huile, on est servi. Flairer la boîte, c’est déjà
un conte. Une histoire de sardines grillées avec du piment, une fin de
nuit dans le port d’Alger. Parfums outranciers de mazout brûlé, de marée
fatiguée et de tabac chaud. Une autre fois, c’est un soir frisquet dans
le vieux port de Marseille. Bistrot clairsemé et terrasse déserte. On
commande une assiette de sardines sans trop y croire. Elles débarquent
comme une pluie d’étoiles au mois d’août. Parsemées de gros sel qui est
le condiment de la faim. Rien à saucer. Mais tout à bouffer : la tête,
les tripes, la queue et même les arêtes. Jusqu’à la dernière miette
jusqu’à l’ultime baiser déposé par le sel sur les lèvres. Une autre
fable qui surgit comme un poisson volant : il y a longtemps, longtemps,
des sardines achetées au bord du Rhin. L’exotisme au pays du rollmops.
Et une lubie de recette arrachée dans un vieux magazine débusqué dans la
salle d’attente d’un médecin. Videz les sardines, les farcir d’un
hachis d’herbes (menthe, persil, thym…), les rouler dans la farine puis
l’œuf battu avec une pointe de sel et de poivre. Les faire chanter dans
la poêle jusqu’à ce qu’elles soient dorées comme une naïade levantine. A
déguster avec les doigts, du gros pain et un blanc un peu frais et pas
prétentieux.
Une pièce de théâtre
Ouvrir une boîte de sardines, c’est comme attendre les trois coups
avant le début d’une pièce de théâtre. On brûle de savoir ce qu’il y
aura derrière
(la suite)
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