Anchois et sardines faméliques en Méditerranée, la faute au plancton ?
Claire Saraux, L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer)Dans le golfe du Lion, le nombre de tonnes d’anchois et de sardines a considérablement chuté ces dernières années, entraînant une crise profonde de la pêcherie. On a en effet observé une diminution de la taille et du poids de chaque poisson : anchois et sardines grandissent moins vite et ont moins de réserves qu’avant ; pour une même taille, ils sont plus légers. Chez la sardine, espèce la plus touchée par ces changements, s’ajoute la disparition des individus les plus âgés. Alors qu’une sardine peut vivre jusqu’à 7 ans en temps normal, nous ne retrouvons quasiment plus aucun individu de plus de 2 ans, ce qui explique la disparition des plus gros individus.
Le nombre de sardines s’est toutefois maintenu, voire a augmenté. En résumé, les poissons, bien que nombreux, sont plus petits et moins gras qu’auparavant, ce qui explique en partie la chute de l’effort de pêche et des captures. Ces petits poissons maigres sont, en effet, très peu valorisables commercialement et de nombreux marchés ont été perdus, les conserveries préférant désormais s’approvisionner ailleurs, par exemple en Adriatique
Dans le golfe du Lion, les captures de sardines sont quasiment réduites à néant : on ne pêche actuellement dans cette zone que 600 tonnes par an, contre plus de 12 000 tonnes il y a 10 ans. Une étude rétrospective des pêcheries dans le golfe du Lion a en outre montré que les quantités pêchées ces dernières années étaient les plus faibles depuis 150 ans, alors même que les navires sont bien mieux équipés.
Pour expliquer cette situation inédite, le projet EcoPelGol a été mené de 2012 à 2015 par des chercheurs de l’Ifremer, en collaboration avec des partenaires espagnols (Université de Gérone) et français (Institut méditerranéen d’océanographie) et les pêcheurs de la région.
Où sont passés les gros individus ?
D’un point de vue scientifique, la disparition des gros individus surprend. Les populations de sardines et d’anchois sont en effet réputées pour fluctuer fortement partout dans le monde, en général à cause de problèmes de survie des plus jeunes stades (œufs, larves ou juvéniles). Quand les conditions sont défavorables, le recrutement – c’est-à-dire le nombre d’individus entrant dans la population adulte – peut être quasi nul, privant la population d’une classe d’âge et donc de son renouvellement. Ces espèces ayant une durée de vie relativement courte, la suppression d’une classe d’âge peut impacter assez fortement le nombre de poissons. Or la situation est ici inverse : le nombre de poissons est important, beaucoup de jeunes intègrent la population, mais ils disparaissent très vite.
Qu’advient-il de ces poissons ? Se sont-ils déplacés vers un endroit aux conditions plus favorables ? Sont-ils morts ?
En travaillant avec nos collègues espagnols, nous avons pu montrer que cette diminution de la taille des sardines et des anchois était valable tout le long de la mer catalane. Notre constat pourrait donc s’appliquer à l’échelle régionale du nord-ouest de la Méditerranée plutôt qu’à l’échelle du Golfe du Lion uniquement. Si les gros individus ne sont pas partis vers l’Espagne, destination pourtant la plus probable au vu des conditions océanographiques, il est fort probable qu’ils meurent en plus grand nombre.
Plusieurs hypothèses ont été avancées : meurent-ils parce qu’ils sont pêchés ou mangés par d’autres espèces ? Parce qu’ils sont malades ? Ou parce qu’ils n’ont pas assez d’énergie ?
Le projet EcoPelGol a permis de montrer que la pression de pêche n’avait pas été très importante au cours des 20 dernières années, et surtout que la chute de biomasse observée ne faisait pas suite à une période où la pêche avait été particulièrement forte. S’il ne faut pas négliger l’effet de la pêche, surtout sur une population déjà diminuée, il apparaît très clairement qu’elle n’est pas à l’origine des problèmes observés.
De même, nous nous sommes intéressés à l’impact potentiel des thons rouges, principal prédateur des anchois et des sardines adultes en Méditerranée. Nous avons montré que les thons rouges étaient fortement opportunistes, ne sélectionnant pas les tailles des poissons consommés. Nous avons en outre pu montrer que ces derniers ne prélevaient pas plus de 1 à 2 % maximum des populations d’anchois et de sardines dans le Golfe du Lion, quantité négligeable pour expliquer la dynamique de population de ces espèces.
Enfin, une étude vétérinaire recherchant de potentiels virus, parasites et bactéries sur plus de 1 000 sardines a permis de montrer la faible présence de pathogènes. Ainsi, aucun virus ou macroparasite n’a été relevé. Deux groupes de bactéries ont été observés, mais sur un très faible nombre de sardines et aucun dommage n’a été remarqué sur les tissus correspondants. Seuls des microparasites du foie ont pu être observés de façon conséquente. Ainsi, environ un tiers des sardines semble avoir un foie infesté. Une nouvelle étude se focalisant sur ces microparasites est actuellement en cours.
Quid du rôle du plancton ?
Nos premières études ont donc mis en évidence une surmortalité adulte, tout en réfutant la pêche, la consommation des anchois et des sardines par les thons rouges et les dauphins, ainsi qu’un grand nombre de maladies comme sources potentielles de cette mortalité.
La baisse de croissance ainsi que de la faible condition des poissons semblent indiquer que ces populations pourraient souffrir d’un déficit énergétique. Pour étudier cela, nous nous sommes intéressés à l’alimentation des anchois et des sardines au cours des 20 dernières années. En parallèle, nous avons également étudié le régime alimentaire du sprat, une espèce similaire dans le réseau alimentaire du golfe du Lion, mais n’étant pas commercialisée et ayant vu sa biomasse plutôt augmenter ces dernières années. Ces trois espèces se nourrissent de plancton, ensemble d’organismes en suspension dans l’eau. Notre étude a montré une alimentation plus généraliste du sprat, comparé aux deux autres espèces, lui conférant une plus grande flexibilité et un avantage compétitif qui pourrait expliquer l’augmentation de sa population ces dernières années.
Cette étude a de plus démontré une augmentation du recouvrement entre les régimes alimentaires de ces trois espèces de poissons, qui semblent consommer des espèces de plancton de plus en plus similaires, pouvant entraîner une compétition potentiellement plus forte. Enfin, il semblerait que la composition du plancton consommé actuellement soit différente de celle consommée avant la diminution de la taille des poissons. En particulier, la taille et le pouvoir calorique du plancton consommé auraient diminué. Ceci conforte l’hypothèse d’un apport énergétique plus faible, expliquant au moins en partie la diminution des réserves lipidiques de ces poissons.
De façon générale, les animaux doivent répartir l’énergie qu’ils acquièrent au travers de leur alimentation entre les principales fonctions que sont la maintenance des fonctions vitales (respiration, digestion, etc.), la croissance et la reproduction. Face à la diminution d’énergie disponible, les sardines et anchois semblent avoir maintenu, voire augmenté, leur investissement reproducteur en commençant à se reproduire plus jeune et en développant des gonades (les organes reproducteurs) toujours aussi grosses proportionnellement à leur taille. Anchois et sardines semblent donc favoriser leur reproduction, au détriment de leur croissance, voire de leur survie.
Il semble donc que les populations de sardines et d’anchois soient affectées par un changement du plancton qui serait constitué d’espèces moins énergétiques qu’auparavant, engendrant une baisse de l’énergie disponible pour les sardines et les anchois. Face à ce changement, ces poissons maintiendraient un investissement reproducteur fort.
Reste à déterminer ce qui a pu entraîner les changements du plancton, les causes les plus probables étant des changements environnementaux comme la température de la mer, le débit du Rhône, des changements de régimes des vents ou encore la pollution.
Claire Saraux, Chercheuse, coordinatrice d’EcoPelGol, L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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