Marseille : les poissons de Méditerranée ne font plus le poids
La Provence - Marseille / Publié le Jeudi 17/07/2014 à 05H42 - mis à jour le Jeudi 17/07/2014 à 07H53
Certaines espèces se raréfient et la diminution de leur taille inquiète
La pêcherie méditerranéenne est à nouveau dans le collimateur de Bruxelles. Il est vrai que les derniers rapports scientifiques dont disposent les experts de l'Union européenne laissent peu de place au doute. 85,3 % des 34 espèces de poissons les plus emblématiques suivies par la Commission générale des pêches en Méditerranée (CGPM) sont en effet surexploitées.
Cela représente 22 des 25 espèces (88 %) dites "démersales" (qui vivent entre le fond et a pleine eau) comme le merlu ou le rouget barbet, et 7 des 9 espèces (78 %) dites "petits pélagiques" comme la sardine ou l'anchois. Avec pour ces dernières, une particularité notable et tout aussi inquiétante : la diminution impressionnante de la taille et du poids des individus.
Un phénomène dont les biologistes marins tentent de déterminer la cause, peut-être liée à un déséquilibre écologique ou à des facteurs environnementaux.
La disparition des reproducteurs reste une énigme pour les scientifiques
Concernant la sardine, notamment, la biomasse des individus reproducteurs s'est effondrée, passant de 200 000 TONNES en 2005 à moins de 3 000 tonnes en 2010.
"Depuis les années 2008-2009, les petits pélagiques sont de plus en plus petits et de plus en plus MAIGRES, CONFIRME Capucine Mellon, responsable du laboratoire ressources halieutiques chez Ifremer Méditerranée, à Sète. Or c'est bien la masse et non pas le nombre de poissons qui a diminué.
Toute la question est de savoir où sont passés les reproducteurs et pourquoi ils n'arrivent plus à grandir suffisamment pour atteindre leur taille marchande qui est de 9 cm pour l'anchois et de 11 cm pour la sardine ? C'est ce mystère que nous tentons d'élucider".
Quant à la taille de reproduction des sardines qui était de 13 cm il y a encore dix ans, elle aussi a fortement diminué et ne dépasse plus guère 11 cm aujourd'hui.
Plusieurs facteurs à l'étude
PARMI les hypothèses sur lesquelles travaillent les scientifiques figurent d'une part un possible décalage entre la taille des proies -le plancton- et les besoins des poissons qui les consomment -taille sans doute influencée par les effets combinés de la surpêche, de la pollution et de l'évolution du climat-, et d'autre part un problème de production de ce plancton.
Alors que les petits pélagiques se caractérisaient par une vie très courte (4 ans pour un anchois ; 7 ou 8 ans pour une sardine) et une très grande dépendance vis-à-vis de leur environnement et de phénomènes cycliques, la pêcherie est devenue de plus en plus tributaire de jeunes individus à la fois plus fragiles et plus sensibles aux facteurs extérieurs.
Conséquence : la masse de sardines débarquées dans les ports du golfe du Lion où se concentre l'essentiel de la production, est passée de 6700 TONNES en 2008, à 3600 t en 2009 et seulement 630 t en 2012.
"Afin de compenser la perte de revenu, explique Capucine Mellon, les bateaux ont alors reporté leur effort sur d'autres espèces comme le merlu. Or celui-ci était déjà en situation de surexploitation."
L'effort de pêche s'est reporté sur d'autres espèces comme le merlu déjà surexploité
Sous la houlette de la Commissaire européenne à la pêche, Maria Damanaki, qui a réuni lundi tous les ministres des pays membres concernés, Bruxelles veut donc intervenir en urgence afin d'inverser la tendance.
De toute évidence, les arrêts temporaires de pêche (20 jours en 2013 pour les bateaux français) ou les SORTIES de flotte (une trentaine d'unités retirée du service entre 2011 et 2013) ne suffisent plus.
Des plans régionaux de régulation de pêche pourraient voir le jour, avec la mise en place probable de quotas, de périodes de repos et de tailles minimales, au grand dam des professionnels qui n'ont pas la même vision de la situation.
D'autant qu'en Méditerranée, rappelle le Pr Jean-Georges Harmelin, du Centre d'océanologie de Marseille, "la pêche reste une activité côtière et essentiellement artisanale ; la plupart des bateaux étant des embarcations de moins de 12 mètres manoeuvrées par une ou deux personnes".
Et d'ajouter : "Instaurer des tailles minimales de capture est un faux problème car les plus grands producteurs d'oeufs et de larves restent les individus les plus gros. Or pour sauvegarder ces derniers et rétablir des structures équilibrées de populations de poissons, le moyen le plus efficace reste la création d'aires marines protégées".
Quant à Ali Saïdi, patron de la Nouvelle criée du chalutage, l'une des principales entreprises de mareyage implantées sur le port de Saumaty (Marseille), il est convaincu que l'explication concernant la raréfaction de certaines espèces n'est pas à rechercher très loin.
"Les thons rouges dont la population a explosé en raison du niveau extrême de protection dont ils bénéficient se sont jetés non seulement sur leurs proies traditionnelles que sont les sardines et les maquereaux pour couvrir leurs besoins hivernaux en poisson gras, mais également sur d'autres espèces comme les rougets et les calmars".
Saupes, bogues, billards, chinchards et autre oblades remis au goût du jour
Afin de favoriser la reconstitution des stocks de poissons les plus dégradés, l'une des pistes explorées par les scientifiques, en liaison avec les pêcheurs, est d'orienter les consommateurs vers d'autres espèces moins prisées.
La saupe a fait les beaux jours des pêcheurs provençaux au début du XIXe siècle avant de tomber en disgrâce.
Une démarche qui sera mise en pratique dès cette année au cours de la 16e édition de Septembre en Mer, prévue du 1er septembre au 5 À cette occasion en effet, la société Marco Polo qui travaille depuis longtemps avec le Comité régional des pêches et des élevages marins Paca, notamment pour le développement du pescatourisme - organisation de SORTIES en mer en compagnie d'un pêcheur professionnel -, va proposer aux visiteurs de vivre une expérience originale : déguster des poissons méconnus ou habituellement délaissés en les faisant préparer par deux chefs marseillais : Pierre Gianetti, du restaurant Le Grain de Sel, et Christian Qui, de Sushiqui.
Le public est donc attendu en nombre le jeudi 25 septembre au pied de la Villa Méditerranée, sur l'esplanade du Mucem, pour un repas de tapas (4 €) mettant en valeur saupes, bogues, oblades, pélamides ou bonite, maquereaux espagnols (ou billards), merlans (ou merlus) et autre chinchards (ou severeau).
Philippe Gallini
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